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Anorexie : Notre dossier

Anorexie : mode ou mal ?

On peut se préoccuper de son alimentation et de sa ligne, mais parfois cette mode se transforme en obsession… C’est cette limite floue que beaucoup d’adolescents, filles surtout, franchissent, à un âge de bouleversement physique et identitaire. Et c’est parfois la plongée dans l’anorexie.

L’anorexie, la vraie (pas le microrégime de printemps pour perdre quelques kilos et entrer dans un maillot), concerne près de 1 % des femmes… Elle fait partie de ce que les médecins appellent les troubles des conduites alimentaires (TCA), avec la boulimie (qui touche 1,5 % des femmes) et le « Binge Eating » (une compulsion alimentaire isolée) dont souffrent 3,5 % des femmes. Des maux essentiellement féminins puisque huit ou neuf fois sur 10, au moins pour l’anorexie et la boulimie, c’est une histoire de filles.

Une fille sur cinq concernée par l’anorexie

Cela dit, ces chiffres sont ceux des troubles tels que définis strictement par les psychiatres, mais il existe, et elles sont deux à trois fois plus fréquentes, des formes atténuées d’anorexie (qui associent tous les critères diagnostiques sauf un par exemple). Au total, en tenant compte de toutes ces anorexies, avérées ou atténuées, ce sont près de 20 % des filles qui en souffriraient.
Même si ces anorexies sont moins spectaculaires, qu’elles soient un signal d’entrée dans la maladie ou que l’anorexie évolue sur un mode mineur, elles « méritent » qu’on s’en occupe sérieusement parce qu’on prend sinon le risque que se développent des troubles à l’âge adulte type fatigue chronique, insomnie, anxiété, etc.

L’anorexie, une histoire de filles

C’est donc une histoire de filles, et de filles jeunes, de plus en plus jeunes d’ailleurs. L’anorexie comme la boulimie débute après la puberté, en moyenne 17 ans (avec deux grands pics de survenue, à 14, puis 18 ans). Ce sont des filles « sérieuses » qui travaillent bien et beaucoup, perfectionnistes, d’un milieu plutôt aisé.
Ce peut être une histoire passagère puisque l’anorexie évolue en moyenne sur 1,7 années, alors que la boulimie dure plus longtemps, 8,3 ans en moyenne. A plus ou moins long terme, on constate que près de la moitié des anorexiques guérissent (parfois même après de nombreuses années), un tiers s’améliore et que pour une fille sur cinq, ce trouble devient chronique.

Une vraie menace pour la santé

Le risque de mortalité est plus élevé, estimé à plus de 10 fois celui de jeunes filles du même âge indemnes de troubles du comportement alimentaire. Par ailleurs, leur santé physique est fréquemment altérée, qu’il s’agisse de la dénutrition, de l’abus de substances addictives, de complications dentaires, d’aménorrhée (des règles absentes), etc.
Mal élucidé encore, le lien entre ces TCA et l’obésité, certains chercheurs constatant que les enfants obèses en font plus volontiers à l’adolescence et suggérant que pour les éviter, il faudrait travailler avec filles et garçons à contrôler les préoccupations de poids et de silhouette… Il reste enfin beaucoup à apprendre, données chiffrées à l’appui, sur les conséquences des campagnes contre l’obésité ou de la promotion tous azimuts de la minceur.

Une chose est sûre : l’anorexie n’est pas une simple mode. Car on ne meurt pas d’une simple mode, alors que l’on peut mourir de l’anorexie.

Anorexie, comment la reconnaître ?

Un régime amincissant qui dérape… La jeune fille se voit toujours « enveloppée » alors que les éventuels quelques kilos superflus ont fondu. Quand bascule-t-on dans l’anorexie ? Comment reconnaître ce mal insidieux, chez soi ou chez les autres ?

Au départ, il y a souvent un banal régime qui fait perdre quelques kilos. Cet amincissement suscite des compliments qui renforcent d’ailleurs la volonté de perte de poids, jusqu’à ce que l’entourage s’affole, quand le sujet de l’alimentation devient central, la jeune fille hyperactive (avec souvent des pratiques sportives poussées à l’extrême), le recours aux vomissements ou aux laxatifs démasqué.

Jamais assez de perte de poids

Comme à ce stade, elle a encore faim (même si elle le nie, et ce « combat » la réjouit), elle peut alterner des périodes de restriction sévères et des accès de boulimie où tout est bon à avaler, y compris le pire (gras et sucré de préférence), sans conséquence sur le poids puisque les vomissements balayent les calories en excès… Ce n’est qu’ensuite, à un stade plus évolué de la maladie, heureusement pour une plus faible proportion de ces ados, que la sensation de faim disparaît, ainsi que les règles. L’anorexique, à cette phase pourtant critique, continue de se trouver trop grosse… et ne perçoit pas sa différence.

Des critères précis

L’anorexie est d’une maladie psychiatrique et comme telle est définie en fonction de critères très précis. On diagnostique donc une anorexie sur un faisceau d’arguments :

· Le refus de maintenir un poids normal, en deçà de 85 % du poids attendu pour l’âge et la taille ;
· Une peur intense de prendre du poids ou de devenir gros alors que le poids est manifestement inférieur à la moyenne ;
· Une altération de la perception de son poids ou de la forme de son corps et un déni de la gravité de sa maigreur ;
· Une absence de règles (une aménorrhée) chez les filles pubères, sur trois mois consécutifs ;

Ces troubles pouvant être purement restrictifs (sans boulimie, vomissements, etc.) ou à l’inverse associés à des crises de boulimie et de vomissements ou prise de purgatifs.

Repérer les signes d’alerte

Si l’adolescente « normale » annonce son régime, comme un défi, l’anorexique le dissimule (elle a dîné chez une amie, etc.). Si la première sait pourquoi elle fait un régime, la seconde ignore ce qui l’empêche de manger, sa restriction est sans but ou cause. Si la première n’a qu’une envie, manger (un effet secondaire de tous les régimes !), la seconde n’y arrive pas, complètement bloquée devant son assiette par son interdit personnel : quand elle « transgresse », la sanction est immédiate et physique, elle se sent nauséeuse, etc. Si la première mange n’importe quand, grignote, la seconde le fait à heures maîtrisées. Si la première mange avec plaisir son assiette allégée, la seconde chipote, mastique interminablement… Si la première s’est fixé un poids idéal, la seconde fond sans limites. Si la première concentre ses efforts sur la nourriture, la seconde utilise tous les moyens pour maigrir, des médicaments, de l’eau à foison, une activité physique intense. Si le régime est un effort pour la première, plus ou moins irritable selon les jours, tout est facile pour la seconde. Enfin, si la première arbore sa silhouette retrouvée, la seconde la dissimule plutôt, sous de larges vêtements…

Anorexie : a qui la faute ?

A postériori, on peut toujours dire qu’il aurait fallu faire ou dire ou ne pas, ceci ou cela, pour éviter l’entrée en anorexie… Une certitude, le problème est complexe, probablement le fruit d’un événement (même insignifiant) sur un terrain vulnérable.

Les jeunes filles anorexiques maîtrisent parfaitement leur environnement, sont persévérantes et perfectionnistes, ce qui explique le silence prolongé de leurs hormones régulatrices de l’appétit (et accessoirement leurs bons résultats scolaires et leurs performances sportives !).

Une forme d’addiction ?

Une addiction sans drogue, purement comportementale, c‘est ainsi que les psychiatres définissent l’anorexie. Parce qu’elle est souvent associée à d’autres formes d’addiction ou de troubles des conduites, et en particulier à la boulimie. Cette envie irrésistible d’avaler n’importe quoi n’importe comment entretient d’ailleurs, en boucle, le besoin de maîtrise forcenée que caractérise l’anorexie. Parce que le « circuit de récompense » est stimulé dans le cerveau par ce semblant de jeûne, combiné à l’hyperactivité physique. La jeune fille est alors incitée à le « titiller » sans cesse, pour un plaisir renouvelé.

Des motivations inconscientes

Quand les ressources internes, pour différentes raisons, font défaut face à des difficultés, le corps, et l’image de soi, devient un rempart, garant de l’identité. Et contraindre son corps, par la maîtrise absolue de l’alimentation, est un moyen d’apprivoiser ce qui leur échappe ou les angoisse, la réalité alentour. Le challenge est de mettre à jour cette « intentionnalité inconsciente », à opposer à l’intentionnalité consciente (on sait pourquoi on veut mincir), lors d’un régime « déclic » commencé pour perdre une poignée de kilos superflus a mal tourné… Les raisons de cette restriction résultent sans doute de fragilités anciennes, sur le terrain de la confiance et de la sécurité personnelle, l’adolescence, une période par essence déstabilisante, jouant le rôle de révélateur.

Une maladie « adolescente »

On ne devient pas anorexique parce qu’on veut copier un idéal de minceur ! En effet, l’adolescente qui va bien s’inspire d’un modèle sans pour autant le dupliquer, alors que celle qui va moins bien préfère un miroir d’elle-même à un exemple à reproduire… La perception que la jeune fille anorexique a d’elle-même est faussée et c’est tout à fait sincèrement qu’elle se trouve trop grosse alors qu’elle ne l’est plus ou ne l’a jamais été. Son régime, sans limites, est aussi sans rapport avec l’image de son corps, qu’elle cache habituellement sous d’amples vêtements : la maîtrise de la nourriture, un choix et un défi, occupe son champ de conscience et occulte le corps ou les interventions extérieures, parentales au premier chef.
Différentes hypothèses à l’origine du trouble sont avancées, comme une perturbation des mécanismes de la métamorphose adolescente (qui peut réactiver un traumatisme de l’enfance), qui se traduirait par un refus (inconscient) de grandir, de s’émanciper de ses parents, de renoncer à son corps d’enfant et une peur de la sexualité.

Les conséquences de l’anorexie

En dehors de ses effets sur la santé psychique, l’anorexie mentale a des conséquences parfois redoutables sur l’organisme. Amaigrissement extrême, arrêt des règles, troubles cardiovasculaires… Tour d’horizon des dangers de cette véritable maladie.

Si l’anorexie guérit une fois sur deux environ (ce qui se traduit par un retour au poids génétiquement programmé et la disparition d’un cortège de signes), ce trouble du comportement alimentaire peut s’installer pour un certain temps, deux ans en moyenne. Une période au cours de laquelle la maladie provoque de nombreux bouleversements…

Un amaigrissement aux nombreuses conséquences

La maigreur est diffuse au niveau de tout l’organisme. Du coup, faute de substrat (des nutriments type protéines et en particulier lipides, mais encore des vitamines et autres anti-oxydants), la peau est sèche (les cheveux aussi, qui se raréfient et tombent), les extrémités plutôt froides et même le corps tout entier (qui descend souvent à moins de 36°, la température normale étant aux environs de 37°). Le rythme cardiaque est abaissé, les cycles de sommeil « brouillés ». Cet amaigrissement est d’autant plus intense et rapidement obtenu que s’y associe une hyperactivité physique. Il est parfaitement supporté dans ce contexte où la « maîtrise » alimentaire annihile les variations hormonales consécutives à la dénutrition : celles-ci, modulatrices d’appétit, pourraient être un frein à la perte de poids.
L’anorexie prive ainsi l’organisme de nombreux nutriments essentiels, ce qui va avoir un retentissement sur le fonctionnement de la plupart des organes (on rencontre ainsi dans les cas extrêmes des problèmes cardiaques). Dans certains cas, hyperactivité laisse place à l’inactivité quand le corps devient trop faible pour se mouvoir.

Emblématique de l’anorexie : l’absence de règles

Deux situations, selon le moment où l’anorexie s’est produite : soit avant la puberté, et les règles ne sont jamais venues ; soit après, et elles ont disparu (un phénomène qui peut être masqué par les hémorragies de privation que déclenche l’arrêt d’une pilule contraceptive, entre deux plaquettes ou deux anneaux). Quoi qu’il en soit, l’arrêt des règles semble, avant même l’amaigrissement, être le premier signe, le plus précoce, d’une anorexie. Il serait celui de l’installation du « mental anorexique », à l’origine de la cascade d’événements ultérieurs. L’aménorrhée en effet est sous la dépendance de centres de régulation hormonaux qui réagissent instantanément à des modifications subtiles de l’équilibre alimentaire, reflété dans la composition du sang qui irrigue le corps tout entier, cerveau y compris. Autrement dit, une aménorrhée peut trahir une anorexie mentale chez une jeune fille qui garde pourtant un poids constant, résultante d’une alternance de périodes de boulimie et de vomissements…

Des os plus fragiles avec l’anorexie

Après six mois d’anorexie, au moins une jeune fille sur deux perd de l’os. Cette réduction de la « masse osseuse » est un facteur de risque de fracture. La raison de cette ostéoporose ? Le manque d’estrogènes (déjà à l’origine de l’absence de règles). Ce manque d’hormones féminines va freiner la formation osseuse, perturbant le métabolisme de l’os. De plus, les apports en calcium (constituant essentiel de l’os) sont inexistants. Et ce n’est qu’à la reprise de poids, qui signe plus ou moins fidèlement (moins que la réapparition des règles en tout cas) la « fin des hostilités », que l’os peut se reconstruire.

A noter, les dents enfin, et leurs gencives, ne sortent pas indemnes de ce déséquilibre diététique.

Sortir de l’anorexie

Il n’existe pas de recette miracle pour sortir de l’anorexie, tant chaque cas est différent. Mais avec un suivi médical adapté et un soutien fort, il est possible de chasser Ana et Mia, et de retrouver l’appétit de la vie !

Pour sortir de l’anorexie, chaque cas est particulier : quelques entretiens avec un psychothérapeute (psychologue ou psychiatre) peuvent suffire à désamorcer ce trouble du comportement alimentaire ou à l’inverse, ce n’est qu’après plusieurs années émaillées de séjours à l’hôpital que certaines anorexies se résolvent.

La base, les psychothérapies

C’est sur une psychothérapie, et avec un intervenant référent, garant de la continuité des soins, que se construit un « projet » thérapeutique, centré sur la jeune fille. La méthode (psychothérapies de soutien, psychanalytiques, thérapies familiales, cognitives et comportementales, relaxation, etc.) est choisie en fonction des premiers entretiens qui évaluent le problème spécifique de cette adolescente et ses capacités de changement, mais aussi et surtout du moment de l’évolution de la maladie… et des ressources locales : la palette des intervenants est plus ou moins étendue selon les régions.
La relation ne se focalise en tout cas pas sur la conduite alimentaire au risque sinon de braquer puisqu’elle est niée et déjà largement stigmatisée par la famille… Les médicaments, et les psychotropes en particulier, n’ont pas d’intérêt ici.

Au cas par cas, l’hôpital

Contrairement à ce qui se faisait autrefois, la séparation d’avec les parents, en imposant l’hospitalisation, n’est sûrement pas systématique et différentes écoles de spécialistes s’affrontent encore sur ce sujet peu consensuel… Une certitude, elle n’est pas la panacée : elle est donc proposée ponctuellement, préparée en amont par un travail en consultation et décidée sur l’importance de l’amaigrissement (ou plutôt de la dénutrition) ou des idées suicidaires. Une hospitalisation n’est pas censée résoudre les difficultés familiales éventuelles, possiblement amplifiées par l’anorexie, mais permet de nouer d’autres relations pour des échanges différents, bref expérimenter la vie en (une autre) société, avec ses compromis nécessaires.

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