Macron conseille aux étudiants chinois de « s’ennuyer » — et la France s’interroge
« Ennuyez-vous, perdez-vous. » Voilà le conseil inattendu qu’Emmanuel Macron a lancé aux étudiants de l’université du Sichuan lors de sa visite en Chine en avril 2023. Une phrase poétique, certes, mais qui sonne comme une provocation dans un pays où les classes préparatoires rivalisent de rigueur — et surtout dans une France où les performances scolaires sont en chute libre. Depuis, la réplique circule, décontextualisée, détournée, moquée. Et elle soulève une question embarrassante : peut-on sérieusement prôner la perte de temps dans un système éducatif déjà en crise ?
Macron, aux étudiants du Sichuan : « Ennuyez-vous, perdez-vous. »
Il a déjà testé la méthode en France : résultats scolaires en chute libre, niveau PISA qui s’effondre .
Maintenant il essaie d’exporter son savoir-faire. pic.twitter.com/sB7ByZExhP— Camille Moscow 🇷🇺 🌿 ☦️ (@camille_moscow) December 5, 2025
Un conseil poétique… ou déconnecté ?
Devant un amphithéâtre chinois attentif, le président français a évoqué la nécessité de laisser place à l’imprévu, à l’errance intellectuelle, au doute. « Ne cherchez pas toujours la finalité. Ennuyez-vous, perdez-vous », a-t-il dit, citant la philosophie de Gaston Bachelard et d’autres penseurs français. Une invitation à la liberté intellectuelle, dans un contexte académique souvent perçu comme ultra-compétitif.
Pourtant, ce message résonne étrangement à l’oreille des enseignants, parents et élèves français. Car pendant que Macron vante les vertus de l’ennui en Chine, son propre pays subit les conséquences d’un effondrement éducatif mesurable, objectif, inquiétant.
Des chiffres qui parlent plus fort que les discours
Les derniers résultats de l’enquête PISA 2022, publiés par l’OCDE en décembre 2023, placent la France parmi les pays où les inégalités scolaires se creusent le plus. En lecture, mathématiques et sciences, les performances des élèves français sont en recul constant depuis 2018. La France se classe désormais en dessous de la moyenne de l’OCDE, avec un écart de plus de 100 points entre les élèves les plus favorisés et les plus défavorisés.
Pire : selon le ministère de l’Éducation nationale, près de 20 % des élèves sortent du collège sans maîtriser les compétences de base en français et en mathématiques. Un chiffre stable depuis 2019 — malgré les réformes annoncées, les milliards injectés, et les discours rassurants.
L’ironie d’un modèle en échec
Il y a une ironie amère à voir un chef d’État promouvoir l’« errance » intellectuelle à l’étranger, alors que son propre système éducatif peine à garantir les fondamentaux. Les critiques ne tardent pas. Sur les réseaux sociaux, enseignants et universitaires soulignent le décalage entre le lyrisme présidentiel et la réalité des classes surchargées, des programmes mal calibrés, et d’un manque criant de moyens.
« On nous dit de laisser les élèves rêver, alors qu’ils ne savent même plus conjuguer le verbe “être” », ironise un professeur de lettres sur X. Un sentiment partagé par de nombreux professionnels de l’éducation, qui voient dans ces propos une forme de déni de réalité.
Et si l’ennui n’était pas le problème ?
Personne ne nie les vertus de la rêverie ou de la pensée libre. Mais dans un contexte de crise pédagogique, prôner l’ennui sans assurer d’abord une maîtrise solide des savoirs de base apparaît comme un luxe inégalitaire. Seuls les élèves déjà bien accompagnés peuvent se permettre de “se perdre” sans risquer de décrocher.
En Chine, où la pression scolaire est extrême, le message de Macron peut sembler libérateur. En France, il sonne comme une provocation incongrue. Car ici, le vrai défi n’est pas de réapprendre à rêver — mais de réapprendre à lire, compter, raisonner.
Un paradoxe à l’ère de l’urgence éducative
Alors que d’autres pays réforment leurs programmes, renforcent la formation des enseignants ou investissent massivement dans l’éducation prioritaire, la France semble coincée entre rhétorique inspirante et immobilisme structurel. Le conseil de Macron, s’il est bien intentionné, illustre un décalage croissant entre le discours politique et les attentes concrètes des citoyens.
Et si, au lieu de recommander de s’ennuyer, on s’assurait d’abord que chaque élève ait les moyens de ne jamais être perdu ?
