“On ne va plus faire que du muslim, muslim, muslim” : les consignes choc révélées par un ex-journaliste de CNews
En pleine campagne présidentielle de 2022, la rédaction de CNews n’aurait-elle plus cherché à informer, mais à orienter ? Un ancien correspondant de la chaîne, Damien Deparnay, livre un témoignage accablant dans un reportage de Complément d’enquête. Selon lui, la direction éditoriale imposait des consignes non seulement partisanes, mais aussi stigmatisantes, en particulier autour de la figure d’Eric Zemmour et du traitement médiatique de l’islam en France. Ses révélations éclairent les coulisses d’une chaîne devenue la première d’information en continu du pays.
Un traitement médiatique sur mesure pour Eric Zemmour
Le 16 septembre 2021, jour de la sortie du livre d’Eric Zemmour, Damien Deparnay reçoit une mission inhabituelle : se rendre en duplex dans une librairie pour présenter l’ouvrage… et en lire la première page à l’antenne. Une demande jamais formulée pour aucun autre ouvrage, politique ou littéraire, affirme-t-il. Lorsqu’il refuse, il est sommé de justifier son refus par écrit — un email que Complément d’enquête a pu consulter.
“Ce jour-là, je comprends qu’on n’est plus du tout dans une démarche journalistique, on est dans une démarche politique”, témoigne-t-il. D’autres journalistes, sous couvert d’anonymat, confirment avoir reçu des instructions similaires : suivre Zemmour “pas à pas”, couvrir “absolument tous ses déplacements”, même quand ses concurrents, mieux classés dans les sondages, n’obtenaient pas un tel traitement.
L’obsession du “muslim, muslim, muslim”
Au-delà du soutien à un candidat, un autre axe éditorial aurait été imposé de manière obsessionnelle : le traitement de l’islam en France. En février 2021, alors qu’un enseignant de Trappes évoque des tensions liées au voile et à l’islamisme dans son établissement, la direction de CNews commande immédiatement un reportage à Roubaix.
Objectif affiché : montrer que “d’autres villes en France sont concernées par ce phénomène”. Le délai imposé — 48 heures — est jugé inadapté à la complexité du sujet. Lorsque le journaliste émet des réserves, le directeur de l’information l’appelle personnellement. Et lui dicte ses consignes : filmer des boucheries halal, des passants en djellaba, puis tendre le micro à un représentant du Rassemblement national, “qui dira assez facilement qu’il y a des fanatiques religieux dans les rues”.
Puis vient la phrase qui marque le tournant : “À partir de maintenant, on ne va plus faire que du muslim, muslim, muslim.” Un choix éditorial assumé, mais jamais justifié publiquement. Contactée, la direction de CNews n’a pas souhaité répondre aux questions de l’enquête.
Une ligne éditoriale qui inquiète les professionnels
Ces révélations s’inscrivent dans un contexte plus large d’interrogations sur la neutralité des chaînes d’information. Depuis 2021, CNews a multiplié les audiences, captant plus de 9 millions de téléspectateurs quotidiens. Mais cette montée en puissance s’accompagne de critiques récurrentes sur sa prétendue “neutralité”.
L’Arcom, autorité de régulation de la communication audiovisuelle, a d’ailleurs émis plusieurs rappels à l’ordre contre la chaîne. Si la direction nie tout biais idéologique, les témoignages croisés de journalistes internes suggèrent une instrumentalisation de l’information au service d’une ligne clairement politique.
Comment reconnaître un traitement partisan à la télévision ?
Pour les téléspectateurs, il devient crucial de développer un regard critique face aux contenus médiatiques. Voici quelques signes révélateurs d’un traitement éditorial orienté :
- Une couverture disproportionnée d’un seul candidat ou d’un seul thème.
- L’usage répété de termes stigmatisants ou de raccourcis sémantiques (“muslim”, “islamisme”, etc.) sans contexte ni nuance.
- L’absence de pluralisme dans les invités ou les angles de reportage.
- La mise en scène de témoignages isolés comme s’ils représentaient une réalité nationale.
- La fusion entre analyse politique et prises de position éditoriales sans distinction claire.
Dans un paysage médiatique saturé, ces repères aident à distinguer l’information de la propagande — ou, du moins, de la désinformation déguisée en journalisme.
