Un téléphone, une vidéo, une révocation : le dossier caché de la RATP contre Chloé
Elle avait dix ans d’ancienneté. Dix ans à vendre des titres de transport, à répondre aux questions des voyageurs pressés, à supporter les heures de pointe et les regards fatigués. Puis, un matin, Chloé s’est réveillée sans emploi. Sans explication claire. Sans avertissement final. Juste une lettre signée par sa directrice : révocation pour « comportement inacceptable ». Le motif ? Une vidéo TikTok regardée en service. Mais ce n’est pas ce que la RATP a dit en premier. C’est ce qu’elle a caché qui explique tout.
Le moment qui a tout fait basculer
Le 17 juin 2025, à 22h50, à la station Mairie-de-Montreuil, un client mystère observe Chloé. Elle est assise derrière son guichet. Son téléphone est posé sur le comptoir. Une vidéo tourne en sourdine. Elle la met en pause lorsqu’on lui demande un itinéraire. Elle répond. Puis elle reprend son poste.
Le client ne signale pas d’agressivité. Pas de négligence. Pas de danger. Juste un écran allumé. Un moment de distraction. Une seconde d’oubli.
Pour la RATP, c’est suffisant. Ce geste, banal pour beaucoup, est classé comme « posture incorrecte ». Et dans un service public où l’apparence est synonyme de crédibilité, cette erreur devient une faute grave.
Elle dit : « Ce n’était pas moi »
Chloé nie avoir été l’agente présente ce soir-là. Elle ne se souvient pas de cet échange. Aucun témoin ne la confirme. Aucune caméra ne la montre. Mais la description du client — âge, tenue, heure, poste — correspond à elle. La RATP n’a pas hésité. L’identité était suffisamment probable. La sanction, immédiate.
Elle n’a même pas été convoquée en urgence. Pas de discussion. Pas de mise en garde. Juste un courrier, deux semaines après l’événement.
Derrière la vidéo, un historique lourd
La RATP ne licencie pas pour une erreur. Elle licencie pour un schéma.
- Avril 2023 : avertissement pour retards répétés
- Été 2024 : mise à pied de trois jours pour absence injustifiée
- Février 2025 : cinq jours de suspension pour propos blessants envers une usagère
Ces faits ne sont pas des anecdotes. Ce sont des dossiers officiels. Des sanctions enregistrées. Des alertes ignorées.
Une usagère, des insultes, une réaction humaine
Chloé n’ignore pas ses erreurs. Elle les reconnaît. Mais elle raconte aussi ce que la RATP n’a pas voulu entendre.
Lors de l’incident de février, une voyageuse l’a insultée. « T’es une sale beurette, va-t’en d’ici. » Chloé a réagi. Elle a répliqué. Elle a été sanctionnée. Pour avoir répondu. Pas pour avoir subi.
Elle n’a jamais demandé à être un modèle. Elle a juste voulu être traitée comme une personne — pas comme un automate.
Le mot qui a scellé son sort
Dans la lettre de révocation, un terme revient trois fois : « absence de regrets ».
La RATP ne condamne pas seulement la vidéo. Elle condamne l’attitude. Le fait qu’elle n’ait pas montré de remords. Qu’elle n’ait pas demandé pardon. Qu’elle n’ait pas changé.
C’est là que la décision devient politique. Pas seulement disciplinaire. Elle dit : « Nous avons donné des chances. Vous n’en avez pas voulu. »
Chloé, elle, répond : « Je n’ai pas besoin de vous demander pardon pour avoir été humaine. »
Le silence des collègues, la colère des syndicats
Sur les réseaux, Ahmed Berrahal, représentant du personnel, a partagé la lettre. « En 22 ans ici, jamais on n’a viré quelqu’un pour ça. »
Des agents lui ont répondu en privé. « Moi aussi, j’ai regardé une vidéo. » « J’ai répondu à un SMS pendant la pause. » « On ne peut plus respirer. »
La RATP n’est pas seule à imposer ces règles. Île-de-France Mobilités exige des standards de service. Mais qui définit ce qu’est un « comportement acceptable » ? Un agent qui sourit, ou un agent qui ne touche jamais son téléphone ?
Le vrai débat : quand la discipline devient déshumanisation
Le licenciement de Chloé n’est pas une affaire de téléphone. C’est une affaire de pouvoir. De contrôle. De ce que l’on attend d’une femme de 38 ans qui travaille dans un guichet depuis dix ans.
Elle n’a pas volé. Elle n’a pas mis en danger. Elle n’a pas menti. Elle a simplement été fatiguée. Un instant. Une seconde. Une vidéo.
Et pour cela, on l’a effacée.
La RATP a choisi d’envoyer un message : « Ne vous écartez pas de la ligne. »
Chloé, elle, a choisi de le dire à voix haute : « Je ne suis pas un robot. »
Le système n’a pas répondu. Il a seulement signé.
