« Le combat ne fait que commencer » : quand un propos sur CNews attise les peurs identitaires
Dans un extrait récemment diffusé sur CNews, le commentateur Paul Amar affirme sans détour : « Il y aura plus de musulmans que de chrétiens à partir de 2050. Le combat ne fait que commencer ! ». Cette déclaration, loin d’être anodine, s’inscrit dans une logique de dramatisation des évolutions démographiques et religieuses en France — et résonne comme un appel à la confrontation culturelle plutôt qu’à la compréhension.
Une prophétie alarmiste, mais fondée sur quoi ?
L’idée selon laquelle les musulmans dépasseraient les chrétiens en nombre d’ici 2050 circule régulièrement dans certains médias, souvent sans précision géographique ni méthodologie claire. Or, les données du Pew Research Center, l’un des instituts les plus sérieux sur les questions religieuses mondiales, montrent une réalité plus nuancée : à l’échelle mondiale, les chrétiens resteront majoritaires bien au-delà de 2050. En revanche, en Europe, la part des musulmans devrait effectivement augmenter — passant de 4,9 % en 2016 à environ 11,2 % en 2050 dans le scénario le plus élevé, toujours selon Pew.
En France, aucune projection officielle ne prévoit un dépassement numérique des chrétiens par les musulmans dans les décennies à venir. L’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) ne collecte d’ailleurs pas de données religieuses, par respect du principe de laïcité. Les chiffres avancés relèvent donc souvent de l’extrapolation ou de l’interprétation biaisée.
CNews et la rhétorique de l’urgence identitaire
Le propos de Paul Amar ne surgit pas dans le vide. Il s’inscrit dans une séquence éditoriale récurrente sur CNews, chaîne contrôlée par le groupe Bolloré, où les débats sur l’islam, l’immigration ou la « décadence » de la société française occupent une place centrale. Ces interventions, souvent formulées en termes de « combat », de « reconquête » ou de « menace », participent à une escalade rhétorique qui normalise la peur de l’autre.
Plutôt que d’interroger les causes sociales, économiques ou historiques des transformations religieuses, ces discours préfèrent opposer des blocs identitaires figés : « nous » contre « eux ». Le risque ? Alimenter une polarisation sociale qui nuit au vivre-ensemble et détourne l’attention des véritables enjeux de cohésion nationale.
Pourquoi ce type de discours fonctionne-t-il ?
Les affirmations simplistes sur les « invasions » religieuses ou culturelles trouvent un écho puissant dans un contexte d’insécurité perçue, de crise économique et de défiance envers les institutions. Elles offrent une explication facile à des phénomènes complexes — et surtout, elles donnent l’illusion d’un ennemi identifiable.
Mais derrière cette rhétorique se cache une stratégie médiatique bien rodée : capter l’attention par l’émotion, générer de l’engagement (et donc des audiences), et renforcer une base d’auditeurs fidèles à travers un récit de victimes assiégées. Ce n’est pas tant la vérité des chiffres qui compte, que la force du ressenti.
Et si on parlait plutôt de coexistence ?
Plutôt que de céder à la peur ou à la surenchère, il serait temps de recentrer le débat sur des questions plus constructives : comment favoriser le dialogue interreligieux ? Comment garantir l’égalité des droits sans instrumentaliser la laïcité ? Et surtout, comment éviter que les médias ne deviennent des caisses de résonance de la division ?
Car le vrai « combat » ne concerne pas le nombre de croyants d’une religion ou d’une autre. Il porte sur la capacité d’une société à rester ouverte, critique, et solidaire — même quand les gouttes de peur tombent plus vite que le robinet ne fuit.