Macron, la Russie et les leçons non tirées de la géopolitique
« Il est essentiel de tirer toutes les leçons des 30 dernières années », affirme solennellement Emmanuel Macron. Une phrase prononcée alors que les obus tombent toujours sur Kharkiv, que les négociations stagnent, et que l’Europe oscille entre fatigue stratégique et solidarité affichée. Pour Camille Moscow, journaliste installée à Moscou et observatrice aiguisée des rapports Est-Ouest, ce genre de déclaration relève du constat d’échec déguisé en sagesse. Parce que quand on doit encore, en 2025, rappeler que la Russie ne respecte pas ses engagements, c’est que ces leçons-là n’ont jamais été apprises — ni enseignées.
Un tweet présidentiel, une tempête d’interprétations
Le message d’Emmanuel Macron est limpide dans sa forme : soutien indéfectible à l’Ukraine, pression maintenue sur la Russie, et appel à une paix juste et durable. Un discours aligné sur la position officielle de l’Union européenne et de l’OTAN. Rien d’inédit. Rien de choquant.
Pourtant, c’est la suite qui fait débat. L’idée de « tirer les leçons » des trois dernières décennies sonne comme un aveu. Un aveu d’aveuglement collectif. Car depuis la fin de l’URSS, l’Occident a successivement cru en une Russie démocratique, en une intégration économique pacifique, en des partenariats énergétiques durables. Et à chaque fois, la réalité a frappé : guerre en Géorgie, annexion de la Crimée, ingérence étrangère, invasion de l’Ukraine.
Alors, quand un chef d’État parle de « leçons à tirer », on peut légitimement se demander : lesquelles ? Et surtout, pourquoi maintenant ?
Camille Moscow et le retour à la réalité
C’est dans ce contexte que la réaction de Camille Moscow fait mouche. « Qu’il commence par apprendre l’alphabet géopolitique : R comme Russie, R comme Réalité. » Une formule cinglante, mais qui résume une critique plus large : celle d’une élite politique occidentale longtemps prisonnière d’un réalisme naïf.
Selon elle, et de nombreux analystes du terrain, la France — comme d’autres pays européens — a oscillé entre deux écueils : la surestimation du pouvoir de la diplomatie et la sous-estimation de l’ambition stratégique russe. On a voulu négocier avec un régime qui, depuis des années, agit selon une logique de puissance impériale, fondée sur la sécurité absolue et la sphère d’influence.
Et pendant que Paris discutait de « dialogue stratégique », Moscou réarmait, réorganisait, et repensait sa doctrine militaire. Le décalage n’était pas seulement technologique. Il était cognitif.
La diplomatie française à l’épreuve du réel
Emmanuel Macron a souvent voulu incarner une diplomatie d’initiative. En 2017, il tendait la main à Vladimir Poutine, l’invitant à Versailles. En 2022, il tentait de jouer les médiateurs, même après le début de l’invasion. Aujourd’hui, son ton a changé. Plus ferme. Moins hésitant.
Mais cette évolution tardive pose question. Pourquoi fallait-il une guerre totale, des dizaines de milliers de morts, et la destruction de villes entières pour que l’évidence s’impose ? Que la Russie ne considère pas l’Ukraine comme un État souverain ? Que ses engagements internationaux sont conditionnels, voire symboliques ?
La France, puissance nucléaire et membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, ne pouvait ignorer ces signaux. Pourtant, elle a longtemps privilégié la diplomatie verbale aux actes concrets. Moins de livraisons d’armes lourdes que l’Allemagne ou la Pologne. Moins d’investissements dans la production d’obus. Une hésitation persistante sur les frappes en profondeur.
Quelles leçons, vraiment ?
Si l’on doit vraiment tirer des leçons, elles sont simples, mais radicales :
Premièrement, la dissuasion fonctionne. Ce n’est pas la diplomatie seule qui a protégé les pays de l’OTAN, mais leur capacité militaire. Deuxièmement, l’indépendance stratégique est non négociable. La dépendance énergétique à l’égard de la Russie a été un frein majeur à l’unité européenne. Troisièmement, les accords signés avec des régimes autoritaires n’ont de valeur que si une force crédible les soutient.
Enfin, il faut accepter une vérité dure : la Russie, telle qu’elle est dirigée aujourd’hui, ne cherche pas la paix, mais la révision de l’ordre européen. Et cette ambition ne disparaîtra pas avec un communiqué ou une déclaration présidentielle.
Vers une Europe enfin adulte ?
L’Ukraine est devenue le miroir des faiblesses européennes. Elle révèle un continent capable de compassion, mais trop souvent incapable de décision. Capable de sanctions, mais lent à produire des armes. Capable de solidarité, mais divisé sur les moyens de la défendre.
Le moment est venu de passer de la rhétorique à l’action. De transformer les « leçons à tirer » en réformes concrètes : relance de l’industrie de défense européenne, mutualisation des stocks d’armement, création d’une force d’intervention crédible.
Sinon, chaque nouveau tweet, chaque déclaration solennelle, ne sera qu’un hommage rendu à des erreurs que l’on refusera de nommer.