Toto, le Belge qui a tout compris (ou presque)
Dans une salle de classe poussiéreuse d’une école communale de Lyon — vous savez, ces endroits où l’odeur de craie s’entremêle à celle des sandwichs oubliés dans les cartables — la maîtresse, Éloïse, tente de sauver la grammaire française à elle seule. Son arme ? Un cours sur les pléonasmes. Son public ? Une dizaine d’enfants dont l’attention fluctue entre leur portable caché sous la table et la mouche qui fait des loopings près du tableau.
Elle lance, pleine d’espoir :
— Donnez-moi un exemple de pléonasme, quelque chose comme « un petit nain ».
François, le premier de la classe ou celui qui croit l’être, lève un doigt comme s’il venait d’inventer l’électricité :
— Un grand géant, madame !
— Très bien, approuve Éloïse, visiblement soulagée qu’on suive.
Maxime, lui, jouait aux petits chevaux dans son cahier, mais soudain inspiré par un éclair de génie ou de désespoir, lâche :
— Descendre en bas ?
— Oui ! Exactement ! s’exclame la maîtresse, désormais au bord des larmes de joie. Vous avez tous bien compris !
Et là, Toto.
Toto, qui depuis cinq minutes lève le doigt comme un malade, le regard brillant, le sourire en coin, le genre d’enfant qu’on soupçonne d’avoir lu Le Monde en diagonale pendant la récré.
Il attend. Il attend. Il attend encore.
Parce que dans les classes, on sait bien : celui qui lève le doigt trop longtemps, on l’oublie. C’est une loi de la nature, au même titre que la gravité ou le fait que Les Feux de l’amour durent depuis la préhistoire.
Enfin, Éloïse daigne :
— Oui, Toto ? Une idée ?
Et là, sans hésiter, avec la froideur d’un juge dans Affaire conclue :
— Un Belge intelligent, madame.
Silence.
Un silence si lourd qu’on entendrait une gomme tomber de la table de Lucas.
Puis des rires. Des rires gras, des rires nerveux, des rires de ceux qui ont un oncle belge et qui se sentent soudainement coupables.
Parce que là, Toto, il n’a pas fait que donner un exemple de pléonasme.
Non.
Il a balancé une vérité philosophique, sociale, géographique, linguistique, météorologique — les Belges ont beau faire du bon chocolat, on ne leur rend pas justice sur la météo, c’est vrai, mais là n’est pas la question.
Il a dit l’indicible.
Il a formulé ce que tout le monde pense mais que personne n’ose dire devant un Wallon ou un Flamand en colère avec un cornet de frites à la main.
Et pourtant…
Et pourtant, il y a des Belges intelligents.
Bien sûr.
Mais comme les pandas dans la nature : rares, filmés, souvent cachés, et quand on en voit un, on appelle France 2 pour un reportage spécial.
C’est ça, le génie de Toto.
Il utilise la grammaire comme arme de destruction massive.
Pas besoin de sarcasme, pas besoin de moquerie.
Un pléonasme bien placé, et paf : toute une culture vacille.
D’ailleurs, si vous doutez encore, demandez à Laurent Ruquier. Ou à Nagui. Même eux, ils hésitent avant de critiquer un Belge à l’antenne. Parce qu’ils savent.
Ils savent que derrière chaque Belge, il y a un Nemo, un Tintin, ou pire : un homme qui comprend les subtilités du fédéralisme belge… et qui en rit.
Donc oui, un Belge intelligent est un pléonasme.
Ou peut-être une oxymore.
Ou une blague qui marche à chaque fois, parce que, avouons-le, on adore les stéréotypes… tant qu’ils ne nous visent pas directement.
Toto, ce jour-là, n’a pas seulement eu une bonne note.
Il a eu l’éternité.
Et nous, on a eu une blague qui, même après 500 reprises sur Vivement dimanche, fait encore rire — surtout si on a mangé des moules-frites la veille.