Interdiction des réseaux sociaux aux moins de 15 ans : et si on bannissait aussi les nuages ?
Emmanuel Macron a surpris tout le monde en annonçant, dans un élan presque poétique, l’interdiction des réseaux sociaux pour les moins de 15 ans. Cette déclaration arrive après un fait divers tragique à Nogent, en Haute-Marne. Mais derrière la colère et la volonté affichée de protéger les jeunes, une question se pose : est-ce que cela a seulement un sens ? Et surtout, qui va vérifier l’âge sur TikTok, sérieusement ?
Une idée venue d’un autre temps… ou d’une autre planète
Après le meurtre d’une surveillante par un collégien, il est normal que les responsables politiques cherchent des réponses. Mais faut-il encore qu’elles soient pertinentes. Interdire les réseaux sociaux aux moins de 15 ans, c’est un peu comme vouloir empêcher les chats de grimper aux arbres : inutilement autoritaire et complètement déconnecté de la réalité.
Sophie Jehel, chercheuse en sciences de l’information à l’université Paris 8, n’hésite pas à remettre les pendules à l’heure. Selon elle, « relier directement un acte de violence extrême aux réseaux sociaux est une simplification hasardeuse ». En clair : non, ton ado ne deviendra pas violent juste parce qu’il regarde des vidéos de chiens qui dansent.
Les jeunes sont partout, même là où on ne veut pas les voir
Selon une enquête menée en Normandie, les jeunes de 15-16 ans utilisent en moyenne sept réseaux sociaux différents. Ils y sont présents depuis longtemps, bien avant leurs 13 ans — voire même leur entrée au collège. Alors interdire l’accès à 15 ans ? C’est un peu comme dire qu’on interdit aux oiseaux de voler : ils vont le faire quand même, mais discrètement.
Et c’est là que le bât blesse. Une telle mesure pourrait pousser les jeunes à contourner les règles, créant un usage clandestin des réseaux sociaux. Adieu alors toute possibilité d’éducation numérique, de prévention ou de dialogue avec les adultes.
Techniquement impossible, ou presque
En théorie, les plateformes interdisent déjà l’accès aux mineurs de moins de 13 ans. En pratique, personne ne vérifie vraiment, et les ados mentent joyeusement sur leur âge. Croire qu’une barrière supplémentaire à 15 ans sera mieux respectée relève du fantasme technologique pur et simple.
La Commission européenne travaille certes à renforcer la protection des mineurs en ligne, notamment via l’identification de l’âge des utilisateurs. Mais selon Sophie Jehel, ce n’est pas une mince affaire. Rendre les contenus violents ou haineux plus rares, oui. Couper Internet à tous les 14 ans, non merci.
Plutôt que de tout interdire, pourquoi ne pas mieux encadrer ?
L’idée d’une interdiction radicale sent bon le réflexe politique : rapide, visible, mais inefficace. Alors que des solutions concrètes existent, comme renforcer la modération ou améliorer l’éducation aux médias. Pourquoi ne pas exiger davantage des plateformes plutôt que de punir les jeunes d’avoir envie de communiquer ?
Comme le souligne la chercheuse : « Pourquoi imaginer une interdiction brutale alors que des outils de régulation sont en cours de développement ? » Bonne question. Dommage qu’elle soit posée trop tard.