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Alerte libertés : France Travail va-t-il devenir un espion des chômeurs ?

Un vote discret au Sénat pourrait bien bouleverser en profondeur le rapport entre l’État et les citoyens. Le 13 novembre 2025, une mesure a été adoptée, presque sans débat public : elle permettrait à France Travail d’accéder aux relevés téléphoniques, aux fichiers de vols aériens et même aux comptes bancaires des demandeurs d’emploi. Officiellement, il s’agit de lutter contre la fraude sociale. Mais derrière ce prétexte, c’est tout un système de surveillance qui se met en place.

Pour la première fois, un organisme d’insertion professionnelle serait doté de pouvoirs d’enquête proches de ceux de la police judiciaire. Et cela concerne directement des centaines de milliers de Français déjà fragilisés par le chômage, l’instabilité financière, ou des situations familiales complexes.

La mesure choc : espionner pour prouver sa résidence

Le cœur du dispositif repose sur un amendement introduit dans le projet de loi de lutte contre les fraudes sociales et fiscales. Son objectif affiché : vérifier que les bénéficiaires des allocations chômage résident bien sur le territoire français — une condition légale depuis toujours.

Mais là où auparavant suffisaient un justificatif de domicile ou une attestation sur l’honneur, désormais, France Travail pourrait croiser des données numériques extrêmement sensibles :

  • Relevés d’appels et de SMS : pour analyser les zones géographiques fréquentées
  • Fichiers Passager (PNR) des compagnies aériennes : pour tracer tous les déplacements internationaux
  • Historique bancaire : notamment pour détecter des domiciliations hors UE

Si plusieurs « indices sérieux » sont réunis, l’organisme pourrait prononcer une suspension conservatoire des allocations — c’est-à-dire couper les revenus avant même un jugement ou une preuve formelle.

Qui est derrière cette réforme ?

L’amendement a été porté par la droite sénatoriale, notamment la sénatrice LR Frédérique Puissat. Elle justifie ces mesures par un besoin de renforcer l’efficacité du contrôle. Selon ses chiffres, la fraude liée à la résidence aurait coûté 136 millions d’euros à France Travail en 2024.

« On lui donne des outils pour pouvoir contrôler », a-t-elle affirmé lors des débats. Un discours repris par plusieurs élus qui dénoncent un laxisme supposé dans la gestion des aides.

Mais ce montant, même s’il est réel, représente moins de 2 % du total estimé de la fraude sociale (entre 9,6 et 11,7 milliards d’euros). Et surtout, il est minuscule face aux 80 à 100 milliards d’euros de fraude fiscale annuelle.

Un glissement vers une logique de suspicion généralisée

Ce n’est pas seulement la mesure qui inquiète. C’est la philosophie qu’elle incarne. Pour la première fois, l’État envisage de traiter les demandeurs d’emploi non plus comme des bénéficiaires d’un droit, mais comme des suspects potentiels.

Un appel passé à un parent à l’étranger. Un voyage de quelques jours chez des amis. Un compte ouvert dans un pays voisin pour des raisons familiales. Autant de faits anodins qui pourraient être interprétés comme des « indices » de fraude.

Et quand la machine administrative se met en marche, le fardeau de la preuve bascule sur l’allocataire. Ce n’est plus à l’administration de prouver la fraude. C’est à vous de prouver que vous êtes innocent.

Des pouvoirs excessifs pour un organisme pas équipé

France Travail n’est ni une police, ni un service de renseignement. C’est un opérateur public chargé de l’accompagnement à l’emploi. Or, on lui confierait bientôt des outils dignes d’une enquête pénale.

Le ministre du Travail, Jean-Pierre Farandou, a exprimé des réserves sur la licéité de ces accès. La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) devrait également être saisie, car ces mesures pourraient violer le Règlement général sur la protection des données (RGPD).

D’autant que rien ne précise comment ces données seront stockées, sécurisées, ou limitées dans le temps. Rien non plus sur les recours possibles en cas d’erreur administrative.

Une cascade de mesures répressives

L’amendement sur la surveillance numérique ne fait partie que d’un ensemble plus large de dispositions visant à durcir le cadre des prestations sociales.

Entre autres mesures adoptées :

  • Obligation de domiciliation bancaire en France ou dans l’Union européenne
  • Suppression du CPF en cas d’absence aux examens, sauf motif légitime
  • Suspension du tiers payant pour les assurés sociaux condamnés pour fraude
  • Création d’un mécanisme de flagrance sociale pour saisir les actifs des entreprises soupçonnées de travail dissimulé

Toutes ces mesures vont dans le même sens : responsabilisation poussée, sanctions accrues, et contrôle renforcé. Mais elles risquent aussi de pénaliser les plus vulnérables plutôt que les grandes structures économiques où la fraude est pourtant bien plus massive.

La fracture morale de la lutte contre la fraude

Le vrai scandale, c’est cette asymétrie criante. Alors que la fraude fiscale coûte dix fois plus cher que la fraude sociale, ce sont les chômeurs, les allocataires du RSA, les familles modestes qui subissent les contrôles les plus intrusifs.

Aucune mesure équivalente n’est proposée pour traquer les montages offshore, les paradis fiscaux, ou les sociétés écrans. Pourtant, ils représentent la majorité des pertes.

Cette focalisation sur les plus pauvres répond à une logique politique : montrer que l’on « fait quelque chose ». Même si ce quelque chose est symbolique, disproportionné, voire injuste.

Et après ? Vers une société de surveillance sociale ?

On parle aujourd’hui de chômeurs. Mais demain, pourquoi ne pas étendre ces outils aux bénéficiaires du RSA, des allocations familiales, ou même de l’assurance maladie ? Une fois le principe accepté, la pente est glissante.

Et le danger le plus insidieux, c’est le découragement. Si les gens pensent être traités comme des fraudeurs, ils hésiteront à faire leurs démarches. Ils renonceront à leurs droits. Et c’est toute la protection sociale qui s’affaiblit.

Le texte sera examiné à l’Assemblée nationale mardi prochain. Mais une question doit être posée clairement : veut-on un État qui accompagne… ou un État qui surveille ?

Karim

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