Le déremboursement de l’ostéopathie : une mesure qui pourrait alourdir la facture de la santé publique
Plus de cinq Français sur dix ont déjà consulté un ostéopathe ces cinq dernières années. Mais cette pratique, largement adoptée pour soulager les douleurs chroniques, pourrait bientôt devenir un soin à payer entièrement de sa poche. Le gouvernement examine sérieusement une réforme qui exclurait l’ostéopathie des contrats responsables des complémentaires santé — une décision qui, selon les experts, risque de générer des coûts bien plus élevés pour l’Assurance maladie.
Une pratique plébiscitée, mais mise en doute par les rapports officiels
L’ostéopathie est une profession réglementée, exigeant cinq ans de formation — soit 5 000 heures d’enseignement — encadrées par les agences régionales de santé. Pourtant, malgré son ancrage dans la pratique quotidienne des Français, deux rapports récents la mettent en question. Le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM), en juin 2025, et le Sénat, en septembre 2024, recommandent tous deux de supprimer la possibilité pour les mutuelles de rembourser l’ostéopathie dans leurs contrats responsables.
Leur argument ? Une absence de preuves scientifiques suffisantes, basée sur une revue de l’Inserm datant de 2012. Mais cette évaluation ne reflète pas l’évolution des pratiques ni les retours massifs des patients. Selon un sondage, 82 % des Français s’opposent à son déremboursement.
Qui paiera vraiment si l’ostéopathie disparaît des mutuelles ?
La question n’est pas seulement d’ordre financier — elle est aussi médicale. Si les patients ne peuvent plus consulter un ostéopathe avec un remboursement partiel, ils se tourneront vers d’autres voies, plus coûteuses pour le système.
Philippe Sterlingot, porte-parole du syndicat français des ostéopathes, alerte : « Plutôt que d’aller voir un ostéo, les patients iraient voir un kiné et un médecin. Le premier réflexe ? Une radio. »
Et ce n’est pas un effet secondaire mineur. Des députés de tous bords — du Républicain Guillaume Lepers à la Modem Sandrine Josso — soulignent les conséquences en chaîne : augmentation des consultations médicales, hausse des prescriptions d’anti-inflammatoires, allongement des arrêts de travail, et, in fine, une dépense accrue pour l’Assurance maladie.
Un effet pervers mesurable
Les données sont claires : les dépenses des complémentaires santé pour les médecines douces atteignent déjà 1 milliard d’euros par an. Un chiffre élevé, certes, mais bien inférieur à celui des dépassements d’honoraires ou des soins dentaires pris en charge à 100 %. Interdire l’ostéopathie ne réduira pas les coûts — il les déplacera.
La députée Sophie Pantel, de Lozère, le rappelle : « Une telle mesure contraindra de nombreux patients à souscrire des assurances supplémentaires coûteuses — ou à renoncer aux soins. »
Une ambivalence institutionnelle qui crée la confusion
Le paradoxe est criant. D’un côté, l’État, en tant que régulateur, veut exclure l’ostéopathie des contrats responsables. De l’autre, en tant qu’employeur, il l’intègre dans les couvertures des fonctionnaires.
La MGEN, mutuelle de la fonction publique, a ainsi étendu ses garanties à l’ostéopathie après avoir consulté ses agents. « L’État ne peut pas dire à la fois que c’est inutile et qu’il faut le proposer à ses propres salariés », souligne Séverine Salgado, de la FNMF.
Le HCAAM ne mâche pas ses mots : « Cette ambivalence constitue un gaspillage total des ressources de l’État employeur. » Mais cette critique ignore une réalité : les fonctionnaires ne cotisent pas pour des théories — ils cotisent pour des résultats observés, des douleurs soulagées, des arrêts de travail évités.
Des solutions bloquées au Parlement
En octobre, la députée Sandrine Josso a tenté d’amender le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2026 afin de préserver l’ostéopathie dans les contrats responsables. L’amendement a été déclaré irrecevable. Sans débat, sans vote. La voix des patients et des professionnels reste sans écho.
Pourtant, les chiffres parlent d’eux-mêmes : 98 % des contrats complémentaires proposent aujourd’hui cette garantie. Supprimer cette option, c’est imposer une nouvelle dépense aux ménages, surtout aux plus modestes, sans aucune réduction réelle des coûts globaux.
Le coût caché du déremboursement
- Augmentation des radios, IRM et scanners prescrits pour des douleurs lombaires
- Fort recours aux traitements médicamenteux : anti-inflammatoires, analgésiques
- Allongement des arrêts de travail, impact sur la productivité
- Renforcement des inégalités : les plus riches souscriront des assurances supplémentaires, les autres renonceront
- Augmentation des dépenses de l’Assurance maladie, bien supérieures aux gains escomptés
Le déremboursement de l’ostéopathie n’est pas une économie — c’est un transfert de coûts. Et ce transfert, c’est la Sécurité sociale qui le paiera, avec l’argent de tous les contribuables.
Quel avenir pour les médecines douces en France ?
La France est l’un des rares pays européens où l’ostéopathie est réglementée, reconnue et largement utilisée. Supprimer son remboursement, ce n’est pas réduire les abus — c’est rejeter une pratique qui fonctionne pour des millions de citoyens.
Les experts le disent : la solution ne passe pas par l’exclusion, mais par une évaluation rigoureuse, actualisée, et une meilleure intégration dans les parcours de soins. L’ostéopathie n’est pas une mode. C’est un outil de santé publique. Et le refuser, c’est choisir de payer plus tard — bien plus cher.
En 2025, le salaire moyen d’un ostéopathe reste modeste — mais son impact sur les dépenses de santé, lui, est colossal.
